Le jeu de saute-mouton sur les crêtes de cette Grande Barrière montagnarde emmène les Géhéristes à Asco puis au refuge de Ciuttulu di i Mori sous la Paglia Orba et le Capu Tafonatu !
On peut se contenter de ces étapes déjà très éreintantes ou bien en rajouter en réalisant le tour du Tafonatu et en bivouaquant sur l'une des plus incroyables vires du Filosorma à l'aplomb du "trou", 600 m plus bas, pour goûter au plus merveilleux et plus sauvage bivouac de toute la Corse...

Vendredi 16

A saute-mouton sur les crêtes du Cinto :
Arête du Cinto, Punta Minuta, Paglia Orba

Refuges du GR20 :
Gîte de Stagnu (Haut Asco) et refuge de Tighjettu

Le soir, déjà accablé par une journée à saute-mouton sur les crêtes du Cinto -le géant de l'île-, je m'énerve après un réchaud fatigué qui ne veut pas réchauffer ma soupe. Je choisis de me détendre avec le livre d'or et j'y lis les brèves de refuge oubliées par des rédacteurs en verve.
“Je n'ai plus la force d'écrire”, avoue l'un d'eux. "J'ai 62 ans et je n'ai jamais affronté de tels parcours". "La Corse, c'est plus dur que les Alpes", confirment d'autres marcheurs harassés.
Certains conservent heureusement leur humour : “On n'en voit jamais la fin ; en plus, j'ai peur des mouflons”, “Quand il fait chaud, on est trempé, quand il pleut, aussi” ! Quelques perles aussi, comme “Nous on est à moto et c'est bien cool” (aveu lu au gîte-refuge d'Asco, qu'il est plus reposant d'atteindre par la route), ou “Les clowns sont passés au cirque”… de la Solitude, bien sûr. Le livre d'or est aussi le livre des règlements de compte contre pollueurs ou gardiens jugés trop peu serviles ! Regrets ou compliments, tout y passe… Mais la soupe déborde, m'obligeant à saisir l'éponge au lieu du stylo que je m'apprêtais à actionner ; ce soir, je ne participerai pas à cet amusant concours de prose.

Samedi 17

Refuge de Ciuttulu di I Mori :
le refuge et le vallon de Tula du col des Maures

Formidable face W du Capu Tafonatu

J'arrive au refuge de Ciuttulu di i Mori alors qu'il est à peine dix heures, puis monte en quelques minutes jusqu'au col des Maures. Côté jardin –sur le versant sud de cette brèche serrée contre la Paglia Orba–, il règne une pagaille bruyante où résonnent les cris des assaillants du trou du Tafunatu. Beaucoup parlent fort, manifestement pour lutter contre une angoisse proportionnée à la minceur de la vire d'ascension de la voie normale.
Côté cour, je rentre au contraire dans la Corse du silence et des solitudes. J'y débute mon tour du Tafunatu. Après m'être glissé dans les ravins étrangement teintés de rouge du Capu Rossu -au même instant se dévoile la presqu'île homonyme, qui referme au sud le dessin parfait du golfe de Porto- je prends pied sur la voie rapide qui court au pied de cet étrange sommet percé. Je m'installe enfin sur une large plate-forme herbeuse, à deux pas d'une cascade qui servira pour une fois de source.
Dominé par des piliers géants -les plus beaux gratte-ciel de la Méditerranée !-, surplombant une gorge qui interdit toute fuite vers l'aval, je sais à cet instant que j'occupe le plus sauvage et le plus extraordinaire bivouac naturel de toute la Corse…